Nous le rappelons dans notre éditorial, Heritage Institut for Policy Studies (HIPS) ou l’institut de recherche sur les politiques se présente comme un think-tank, pour employer un terme anglais dont cette structure fait usage. L’association entre les mots institut (institute) et patrimoine (heritage) est supposée signifier que cette organisation est sérieuse et crédible.
L’institut a vu le jour à Mogadiscio, la capitale de la République fédérale de Somalie, en 2013. C’était durant le premier mandat présidentiel de l’actuel chef de l’État somalien, Hassan Sheikh Mahamoud, ami d’un certain Ismail Omar Guelleh. Officiellement, HIPS a été fondé et est dirigé par des diplômés somaliens dont certains portent le titre de Dr (PhD). Ils se déclarent chercheurs et ou analystes.
Comme il l’écrit sur son site internet (https://heritageinstitute.org/), Heritage Institute est pour ‘’une Somalie en paix et guidée par des politiques basées sur une recherche solide et des délibérations inclusives’’. Ainsi formulé, le projet a de quoi séduire, particulièrement les Somaliens et leurs amis sincères, même si l’on sait que ces derniers ne sont pas nombreux.
Sur le terrain, cependant, la structure n’est pas à l’abri des critiques, notamment pour ses relations extérieures. Nous ne tenons pas, ici, à porter une appréciation sur la qualité de ses travaux de recherche et analyses, cela ne relève pas du travail journalistique mais du regard des pairs, à savoir les chercheurs et autres analystes experts. Nous nous intéressons plutôt à l’éthique de l’institut à partir de ce qu’il donne à voir, en particulier dans ses rapports avec le pouvoir autocratique djiboutien.
Beaucoup de nos lectrices et lecteurs le savent, l’organisation organise régulièrement des forums à Djibouti, à l’invitation du gouvernement djiboutien. Selon nos informations, ce dernier participe aux frais d’organisation de ces rencontres. Il peut difficilement en être autrement compte tenu des moyens limités d’une telle organisation. Son travail présumé à but non lucratif suppose un minimum de soutien financier de la part de tiers, qu’il s’agisse de particuliers, d’organisations non-gouvernementales ou de gouvernements. Comme Heritage Institute l’écrit lui-même sur son site internet, un institut de recherche de ce type n’est pas une entreprise qui vend des marchandises et génère des ressources financières. Il n’est pas non plus un département de recherche-développement d’une grande entreprise commerciale. Il est une entité engagée dans une mission d’utilité publique, ici : ‘’une recherche basée sur des faits et des facilitations de dialogues’’ pour informer ‘’l’élaboration des politiques publiques en Somalie’’ ainsi que ‘’les efforts internationaux en faveur du renforcement étatique en Somalie’’ et pour ‘’promouvoir la paix régionale et le développement économique dans la Corne de l’Afrique’’.
Indiscutablement, cette mission et les valeurs qui la sous-tendent impliquent une éthique. En d’autres termes, l’institut de recherche se doit de veiller à ce que ses rapports avec les tiers correspondent à ses valeurs, notamment aux valeurs de sincérité, d’honnêteté, de dialogue, de paix et d’inclusion. Il y va de sa cohérence et de sa crédibilité.
Or, le pouvoir en place à Djibouti avec lequel l’entité traite depuis des années, est loin de partager ces valeurs. L’autocrate Ismail Omar Guelleh et ses obligés ne sont réputés ni sincères, ni honnêtes, ni attachés au dialogue et à la paix, encore moins soucieux de l’inclusion. Ils en sont bien loin. En témoignent à suffisance, sur le sol djiboutien, le niveau très élevé de la corruption, les criantes inégalités socio-économiques, le verrouillage et la répression politiques constants ainsi que la fragilité de la paix civile dont la gouvernance de ce régime est profondément marquée. En témoignent également ses relations régionales souvent troubles et de plus en plus critiquées, notamment par de larges secteurs de l’opinion publique somalienne.
Comment alors expliquer que Heritage Institute se voile les yeux sur cette situation inacceptable et continue de se prêter, par ses forums, au marketing politique facile de l’autocrate Guelleh ? Comment se fait-il que, dans aucun de ses forums, il ne soit fait référence à l’état préoccupant des choses et des êtres qui prévaut à Djibouti sous la présidence de cet homme ? Comment, encore, justifier qu’aucun chercheur djiboutien indépendant du régime, aucun analyste libre, aucun acteur de la société civile non inféodée, ni aucun dirigeant d’opposition, ne se soient à ce jour exprimés dans lesdits forums, alors que les caciques du régime, à commencer par Ismail Omar Guelleh lui-même, y pérorent régulièrement sous les applaudissements ?
Il est difficilement imaginable que tout cela soit le fruit du hasard. C’est trop et, surtout, dure depuis trop longtemps pour que ce soit le fait de quelque hasard. Tout cela suggère plutôt une attitude complaisante du prétendu institut de recherche et d’analyse à l’égard du régime djiboutien.
Il s’ensuit que Heritage Institute fait douter de l’éthique qu’il affiche dans le discours. Clairement, ses relations concrètes et constantes avec le pouvoir dictatorial djiboutien jettent le doute sur son sens éthique. C’est une conclusion qui découle de ce que l’entité laisse repérer à Djibouti. Comme telle, cette conclusion devrait parler à Heritage Institute qui répète que sa recherche est fondée sur des faits, c’est-à-dire des données empiriques collectées sur le terrain. Alors, Heritage Institute continuera-t-il ainsi, au risque de se déconsidérer totalement, ou reverra-t-il sérieusement sa copie ?