Dans le cadre de notre émission ‘’Œil du continent’’, Dr Daher Ahmed Farah, président du parti djiboutien d’opposition dénommé Mouvement pour le Renouveau démocratique et le Développement (MRD), a accepté une invitation conjointe d’interview de La Voix de Djibouti (LVD) et de Newsafrica24, une chaîne d’information continue en ligne tournée vers l’Afrique et ses diasporas. Nos questions et ses réponses.
La Voix de Djibouti : Merci Dr Daher Ahmed Farah d’avoir accepté notre invitation. Vous allez être interrogé par Jean-Célestin Edjangué de Newsafrica24 et moi-même, Mahamoud Djama. Bienvenue encore. Nous allons vous poser des questions sur le Monde, sur l’Afrique et enfin sur Djibouti.
Jean-célestin Edjangue: Avant de poser les questions concernant l’actualité mondiale, je voudrai dire deux mots sur notre invité qui a un parcours tellement riche et impressionnant. Lui n’aime pas qu’on le dise, mais je vais essayer de faire une brève description de son parcours. Dr Daher Ahmed Farah est un ancien militaire devenu journaliste, enseignant et dirigeant d’établissement, aujourd’hui docteur en sciences de l’éducation et de la formation et chercheur associé au sein du laboratoire Foap qui est une structure implantée au Centre national des arts et métiers (Cnam) de Paris). Il est également acteur politique puisque, après avoir longtemps milité au sein du PRD devenu MRD dont il était un des membres fondateurs, il en est devenu le président. Le MRD est le principal parti d’opposition à Djibouti qui empêche le président Ismail Omar Guelleh de dormir sereinement. Il a donc plusieurs casquettes. C’est important que les téléspectateurs sachent que c’est quelqu’un qui est bien assis et qui a la capacité de parler non seulement de Djibouti, mais aussi des problématiques du monde entier. Alors, pour commencer, on va parler de ce qui se passe depuis quelques semaines maintenant au Moyen-Orient, entre Israël et la Palestine. On a vu que le mouvement Hamas est intervenu en Israël, provoquant pas mal de victimes et la riposte d’Israël qui a fait tant de victimes aussi. Quel regard portez-vous sur cette situation ? Comment faire pour en sortir ?
Dr Daher Ahmed Farah: Merci Jean-Célestin. Il est vrai que la situation s’est subitement aggravée au Proche-Orient entre Israéliens et Palestiniens suite à l’attaque surprise et massive que le Hamas, mouvement armé palestinien, a menée samedi 7 octobre contre Israël. Ses hommes sont entrés sur le territoire israélien et tué des militaires, des policiers, mais aussi des civils, de nombreux civils. Il a semé la terreur. La riposte israélienne n’a pas été moins massive qui continue à Gaza, soumise à un siège militaire, bombardée de manière intense et détruite d’autant. C’est donc un massacre qui a commencé samedi 7 octobre et continue au moment où nous parlons. Cela ne nous laisse pas du tout indifférents, et nous autres n’avons pas l’émotion sélective. Quelle que soit la victime humaine, qu’il s’agisse d’Israéliens, de Palestiniens ou autres, nous sommes touchés par le spectacle de la mort, du sang qui coule et de la désolation. Mais nous pensons que, au-delà de l’émotion du moment, il faut que la raison reprenne ses droits. Nous sommes ici face à un problème politique. C’est un problème politique qui se pose au Proche-Orient. Chacun des deux peuples aspire à un État et à la paix à l’intérieur des frontières de cet État. Il est vrai que cette terre du Proche-Orient est une terre riche d’histoire, de significations religieuses à la fois pour les musulmans, les chrétiens et les juifs, ce qui explique le problème qui se pose entre Palestiniens et Israéliens, chacun des deux peuples aspirant à un État sur cette terre. Or, il y a de la place pour deux peuples sur cette terre. L’État d’Israël a été proclamé en mai 1948 sur la base d’une résolution des Nations-Unies de novembre 1947. C’est le fameux plan de partage de la Palestine entre un État israélien et un État arabe qui lui aussi a été ainsi potentiellement reconnu. D’autant qu’une résolution des Nations-Unies de 1967 fait référence aux territoires occupés par Israël lors de la guerre de 6 Jours en 1967, territoires palestiniens. Il n’y a donc pas de raison que, de la même manière qu’Israël a pu constituer un foyer national et proclamer un État national, les Palestiniens n’aient pas leur État sur les territoires occupés. C’est le sens des accords d’Oslo qui ont été signés en 1993 par Yasser Arafat, chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), et le Premier ministre israélien d’alors, Itzhak Rabin.
Jean-célestin Edjangue: Et malheureusement, on constate que ça n’avance pas et qu’on fait du surplace, voire pire. Qu’est qu’il faut faire aujourd’hui ?
Dr Daher Ahmed Farah : Tout à fait, mais il n’y a pas trente-six solutions. La seule solution qui vaille est une solution politique, la solution à deux États. Il ne peut pas y avoir d’autre solution. La violence n’est pas la solution. Si c’était le cas, cela se verrait. Le sang coule depuis 1948 entre Palestiniens et Israéliens et le problème est toujours là, posé plus que jamais. La solution est donc politique, qu’on le veuille, ou pas. Il faut un État palestinien, de la même manière qu’il y a un État israélien, deux États vivant côte à côte et dans la paix.
La Voix de Djibouti : Dr Daher Ahmed Farah, le monde évolue rapidement et dangereusement. En plus de ce que vous venez d’indiquer sur le Proche-Orient, il y a une guerre à la porte de l’Europe : la guerre en Ukraine, entre la Russie et l’Ukraine. Quelles solutions ? Quelle sortie ? On a l’impression que, en plus, le monde est en train de se diviser en deux blocs et se dirige dangereusement vers quelque chose de nouveau et inconnu. A votre avis, quelles solutions faut-il pour sortir de ces crises et pour l’avenir de ce monde ?
Dr Daher Ahmed Farah : Il est vrai que l’état du monde n’est pas rassurant. Nous venons de parler du Proche-Orient. Il y a aussi cette crise ukrainienne, la guerre entre la Fédération de Russie et l’Ukraine. Là également, il faut un dialogue et non une violence. Il faut que les puissants de ce monde reviennent à la raison et comprennent que la seule solution pour pacifier les relations entre les peuples, c’est le dialogue. Chaque peuple a droit à une vie décente dans le cadre de l’État de son choix. Il faut respecter ce droit. Donc, en Ukraine, il doit y avoir un dialogue entre Ukrainiens et Russes. Je pense que c’est possible si les partenaires des uns et des autres poussent là aussi au dialogue.
La Voix de Djibouti : Au niveau du dialogue, il y a eu une initiative africaine qui a échoué. Quelle autre solution ?
Dr Daher Ahmed Farah: C’est vrai que le dialogue ne peut pas être imposé aux acteurs, aux belligérants. C’est aux acteurs d’accepter le dialogue. Les autres peuvent proposer, y pousser, accompagner, mais ils ne peuvent pas l’imposer. Si les intéressés, les premiers concernés ne sont pas prêts au dialogue, le dialogue ne peut pas avoir lieu. Nous ne pouvons donc que proposer, nous autres dans notre modeste position. Nous ne pouvons que rappeler encore et encore la nécessité impérieuse du dialogue comme seule solution viable à toutes les crises de type politique qui se posent sur cette terre.
Jean-célestin Edjangue: On a quand même le sentiment, quand on observe les choses de près, que ce soit en Israël, sur la bande de Gaza ou en Ukraine, qu’il y a une vraie remise en cause de ce qu’on appelle la communauté internationale. Dans le cas de l’Ukraine, la Fédération de Russie, qui est membre du Conseil de sécurité de l’ONU, a attaqué, agressé, occupe depuis des mois un pays. Dans l’autre cas, Israël est attaqué par le Hamas mais il réagit de manière peut être disproportionnée. Je pose la question. Est ce que ces institutions-là, l’ONU, la Cédéao, la Sadec, l’UA, l’Union européenne ont encore un rôle à jouer ? Est-ce qu’on peut encore leur faire confiance quand on voit ce qui se passe dans le monde. On a l’impression que tout le monde est dépassé, à commencer par ces gens-là ?
Dr Daher Ahmed Farah : C’est vrai que l’ONU ne semble pas jouer pleinement son rôle qui est de veiller à la paix, de la rétablir si elle est rompue. Les Nations-Unies, ce sont les États qui les constituent et lui donnent le pouvoir d’agir. Les Nations-Unies n’agissent que si ces États le lui permettent. Je pense que, au-delà de ces crises, c’est la question de la pertinence même de l’ordre international issu de la Deuxième querre mondiale qui est posée. Il est peut-être temps que les puissants de ce monde, mais aussi les moins puissants, se rassoient autour de la table et revoient cet ordre. Nous autres pensons que, sans un minimum de multilatéralisme, sans un minimum d’équilibre entre les États du monde, il ne peut pas y avoir un système international efficace. Si les quelques 193 États de l’ONU n’ont pas les mêmes droits, il y aura un monde à deux vitesses ou à géométrie variable. Si la plupart des États ne sont là que pour faire de la figuration et que la décision n’est prise que par quelques-uns, ce n’est pas juste. Ce n’est pas représentatif de l’état du monde, ce n’est pas représentatif du monde. Pour faire court, il faut revoir cet ordre international.
La Voix de Djibouti : Au sein de cette communauté internationale, on a l’impression aujourd’hui qu’il y a deux blocs qui se dégagent. Il y a le bloc occidental et il y a, de l’autre côté, le bloc des BRICS qui est en train d’émerger avec de plus en plus d’adhésions. Quel regard portez-vous sur la montée en puissance des BRICS ?
Dr Daher Ahmed Farah : Qu’il y ait un début de multilatéralisme, ce n’est pas plus mal. Mais il ne faut pas que cela devienne une seconde guerre froide. Il ne faut pas que la montée en puissance des BRICS nous fasse revenir à l’ère de la guerre froide, de la compétition entre puissances et donc de l’invisibilité du reste du monde. Si cette émergence va dans le sens du multilatéralisme, des relations internationales plus équilibrées, tant mieux. Mais si c’est pour restaurer la compétition entre puissances, je ne suis pas sûr que cela apporte quelque chose de positif aux relations internationales qui, dans l’intérêt de tous, doivent évoluer positivement. A suivre.