Le régime d’Ali Bongo Ondimba au Gabon et celui d’Ismail Omar Guelleh à Djibouti donnent à voir des similitudes frappantes. Bien que les deux pays soient géographiquement assez éloignés -le Gabon est en Afrique centrale et Djibouti dans la Corne de l’Afrique- et qu’ils diffèrent par d’autres aspects, les observateurs un tant soit peu attentifs, ne s’y trompent pas.
Première similitude, les deux pays partagent, et avec d’autres en Afrique, un passé colonial français qui a laissé des traces et des indépendances sous influence de Paris. D’où des expressions telles que ‘’pré-carré français en Afrique’’, ‘’pays du champ’’, ou encore Françafrique.
Deuxième similitude, le Gabon et Djibouti ont passé des accords de défense avec la France et accueilli des militaires français sur leurs sols respectifs.
Troisième similitude, les deux premiers présidents de ces deux pays, Feu Léon Mba et Hassan Gouled Aptidon, étaient connus pour leur appartenance à ce qui préfigurait la Françafrique. Au moment des indépendances, Léon Mba préférait même que le Gabon restât sous tutelle française voire devînt département français. Quant à Hassan Gouled Aptidon, il était, en 1958, le chef de file des partisans du oui au maintien de Djibouti sous tutelle coloniale française. Comme tel, il s’est particulièrement illustré lors du référendum du 28 septembre 1958, référendum constitutionnel français qui offrait une occasion d’auto-détermination aux peuples africains colonisés par Paris.
La quatrième similitude réside dans la manière dont Ali Bongo Ondimba et Ismail Omar Guelleh sont arrivés au pouvoir. Ali Bongo a succédé en 2009 à son père Omar Bongo Ondimba qui venait de mourir et Ismail Omar à son oncle Hassan Gouled Aptidon qui lui a transmis le pouvoir en 1999, soit dix ans plus tôt. L’un et l’autre n’ont pas été élus lors d’une élection présidentielle libre et transparente mais par la fraude et la force. Ali Bongo a dit avoir gagné avec une petite avance de 6000 voix et Ismail Omar Guelleh a juste inversé les résultats du vote. L’on se souvient du hold-up électoral de ce dernier au détriment de son adversaire et vainqueur, le regretté Moussa Ahmed Idriss. Il l’a d’ailleurs jeté en prison dans les mois qui ont suivi sa prise du pouvoir.
Une cinquième similitude est la longévité au pouvoir des deux familles : la famille Bongo est restée au pouvoir au Gabon du 2 décembre 1967 au 30 août 2023, date du coup d’État qui a renversé l’héritier Ali Bongo. De même, la famille Gouled-Guelleh est au pouvoir à Djibouti depuis le 27 juin 1977, date de la proclamation de l’indépendance en ce pays.
Autre élément commun, cette longévité n’est pas due à un soutien populaire mais à un système combinant clientélisation d’une minorité, répression de la majorité et soutien extérieur. Témoin, à Djibouti comme au Gabon, le mécontentement populaire s’est régulièrement exprimé, y compris de manière violente. En d’autres termes, la participation populaire, notamment par le débat démocratique et le suffrage universel, est dénié aux Gabonais comme aux Djiboutiens. Mais cela n’empêche pas, on le sait, de nombreux dirigeants du monde, eux démocratiquement élus par leurs peuples, de fréquenter Bongo comme Guelleh.
De même, l’un et l’autre des deux régimes ont toujours fait valoir à l’international, et notamment auprès des puissants de ce monde, ce qu’ils ont appelé ‘’la stabilité’’. Quelle stabilité ? Une stabilité socialement ancrée ? Non. Peut-on raisonnablement soutenir qu’un pays soumis à l’usage excessif de la force et de la fraude, où frustrations et rancœurs s’accumulent chez le plus grand nombre, est stable ? La raison répond : Non. L’hypocrisie intéressée répond souvent : Oui.
Énième similitude, cette chape de plomb sur les deux pays s’est notamment traduite par l’exil d’un nombre croissant de Djiboutiens et de Gabonais. Ils sont sans cesse plus nombreux à demander l’asile politique en Europe et en Amérique du Nord, ou à y rester une fois leurs études terminées là-bas. Une situation préjudiciable aux deux patries qui perdent ainsi une partie appréciable de leurs ressources humaines.
C’est dans ce contexte qu’est survenu, au Gabon, le coup d’État qui a renversé Ali Bongo Ondimba le 30 août 2023. Il a été mené par le chef de sa propre garde présidentielle, le général Brice Oligui Nguema. Contrairement au putsch de 1964 contre le président Léon Mba, les militaires français stationnés au Gabon ne sont pas intervenus pour sauver le régime. Alors, fin de la dynastie Bongo ? Pour l’économiste Albert Ondo Ossa, adversaire d’Ali Bongo et vainqueur présumé de l’élection présidentielle du 26 août 2023, celle à l’occasion de laquelle le coup de force est survenu, il s’agit d’une ‘’révolution de palais’’. Il voit, derrière ce coup d’État, la main de la propre sœur d’Ali Bongo, Pascaline Bongo, influente sous son père Omar Bongo mais écartée par son frère Ali. Vrai ou faux ? L’avenir proche le dira. En attendant, les Gabonais ont accueilli avec soulagement le départ du prédateur d’État et répressif Ali Bongo.
Bien entendu, la chute brutale d’Ali Bongo n’a pas ravi un certain Ismail Omar Guelleh à Djibouti. Il l’a très mal vécue, selon nos informations. Ce, pour au moins trois raisons. Première raison, il était politiquement et personnellement proche d’Ali Bongo. D’où sa prompte et ferme condamnation du coup d’État, le qualifiant plus tard de ‘’source d’instabilité dans la sous-région’’. Deuxième raison : c’est le sixième coup d’État en Afrique francophone depuis 2020, si l’on compte celui du Tchad. Il craint la contagion. Troisième raison, il a vu un signal politique dans la non-intervention des militaires français présents au Gabon en faveur de son ami Ali Bongo. Il y a senti comme un parfum de fin de cycle pour une certaine politique africaine de Paris. Ce n’est du reste pas un sentiment exagéré, car la France ne peut pas ne pas tenir compte des mutations socio-politiques qui travaillent l’Afrique, notamment dans sa partie francophone, où les nouvelles générations entendent influer sur la chose politique dans leurs pays et participer ainsi à forger leur avenir. Quoi d’ailleurs de plus légitime que les peuples africains, jeunes à plus de 70%, veuillent se mêler de ce qui les regarde ? N’est-ce pas là le fondement même de la démocratie si chère à l’Occident ? Il y a matière à inquiétude pour Guelleh.