La montée du tribalisme dans l’armée nationale – Une milice au service du clan Guelleh.
Le phénomène du tribalisme dans les forces armées est loin d’être une nouveauté, particulièrement dans des régions comme le Moyen-Orient et l’Afrique. Cependant, à Djibouti, sous la direction d’Ismael Omar Guelleh (IOG), le tribalisme semble avoir pris une tournure inquiétante : l’armée nationale, censée défendre la souveraineté et l’intégrité du pays, semble désormais être transformée en un outil de consolidation du pouvoir d’un clan et de protection personnelle pour le président.
L’armée djiboutienne : une milice au service du clan Guelleh
L’influence du tribalisme sur la structure militaire djiboutienne s’est intensifiée au fil des ans, particulièrement depuis que le pouvoir d’Ismael Omar Guelleh s’est solidifié. Selon des témoignages récents et des sources internes, l’armée n’est plus perçue comme une institution au service de l’État, mais plutôt comme une milice privée qui défend les intérêts de son clan, notamment les Mamasan/Issa, dont fait partie le président. Un système de clientélisme a été mis en place, où seuls les membres de son groupe ethnique occupent les positions stratégiques au sein des différentes forces armées du pays.
D’après Radio Boukao du 15 janvier 2025 : « Le 5 janvier 2025, lors de la réunion bimensuelle de l’état-major de l’armée nationale, en remplacement du Général de Corps d’Armées Zakaria Cheick Ibrahim, Chef d’État-Major Général des Forces Armées, le Colonel-major Mohamed Kayad Guelleh, sous-chef d’état-major de la Défense et Chef d’État-Major Général des Forces Armées par intérim, a convoqué tous les chefs de corps. Le Colonel Wais Omar Bohoreh, Commandant de la Garde-Côtes Djiboutienne, a mandaté pour cette réunion une cousine, commandant de la Garde-Côtes Djiboutienne. Quant au Commandant de la Garde Républicaine, le Colonel Mohamed Djama Doualeh, il a avancé un faux prétexte pour ne pas participer à la réunion, et le Commandant de la Marine Nationale, le Colonel Ahmed Daher Djama, a refusé de décrocher le téléphone, évitant ainsi d’y prendre part. Le commandant de la Garde-Côte a même déclaré qu’il ne comptait pas accepter l’ordre des officiers supérieurs issus de l’ethnie Afar et du clan Yonis-Moussa/Issa. » Ce qui suggère une forme de loyauté ethnique ou clanique qui prime sur la discipline militaire et l’obéissance aux ordres de l’institution.
Le Général de Corps d’Armées Zakaria Cheick Ibrahim, le Colonel Wais Omar Bohoreh, le Colonel Mohamed Djama Doualeh, le Colonel Ahmed Daher Djama et le Colonel Abdourahman Ali Kahin, Directeur Général de la Police, sont tous membres du clan du président de la République de Djibouti, le clan Mamasan/Issa. Dans le but de pérenniser un pouvoir clanico-mafieux, Ismael Omar Guelleh a placé à la tête de tous les corps du pays des officiers choisis et promus parce qu’ils appartiennent à son propre clan. De plus, la majorité de ces officiers sont largement analphabètes. Il a également nommé des subordonnés issus du même clan Mamasan/Issa afin d’éviter qu’un autre officier d’un autre clan ou ethnie n’accède à des postes de direction de l’armée nationale.
Influence du tribalisme sur les structures militaires
Le tribalisme dans l’armée djiboutienne se manifeste de diverses manières. D’abord, la composition des unités et des postes de commandement est largement influencée par les liens familiaux et ethniques. Par exemple, les chefs des principaux corps de l’armée, comme la Garde Républicaine, la Marine Nationale, et la Garde-Côtes Djiboutienne, sont presque tous issus du même clan que le président. La loyauté à l’égard de ce clan prime ainsi sur la discipline militaire traditionnelle, créant une armée fragmentée, où les décisions sont prises en fonction des intérêts tribaux et non de l’efficacité opérationnelle.
Des exemples concrets dans le monde
Le phénomène n’est pas isolé à Djibouti. D’autres pays de la région, comme le Yémen et la Syrie, ont montré comment le tribalisme peut affecter la cohésion des forces armées et la stabilité politique. En Yémen, par exemple, l’armée est largement tribalisée, avec des unités spécifiques formées pour protéger les intérêts des différents clans. De même, en Syrie, les « Forces des Combattants des Tribus » jouent un rôle crucial dans le maintien du pouvoir du régime Assad. Dans ces contextes, le tribalisme a mené à une fragmentation des forces militaires, à une instabilité accrue et à des conflits internes.
Les conséquences du tribalisme militaire
L’impact du tribalisme sur l’armée nationale djiboutienne est préoccupant. L’unité et l’efficacité de l’armée sont compromises par des rivalités ethniques internes. Ce phénomène contribue à une corruption systémique, où des promotions sont basées sur des liens familiaux plutôt que sur le mérite. De plus, la loyauté envers l’État est souvent éclipsée par des loyautés tribales, créant ainsi un climat de méfiance entre les différentes factions de l’armée.
L’armée, censée être un facteur de stabilité, devient ainsi une source de fragmentation. Cette situation pourrait se traduire par des tensions ouvertes entre clans rivaux, particulièrement si le pouvoir d’Ismael Omar Guelleh venait à vaciller.
Défis et perspectives pour l’armée nationale djiboutienne
Les défis auxquels l’armée djiboutienne fait face sont multiples. Le défi principal réside dans la professionnalisation des forces armées et la restauration de l’ordre institutionnel. Un véritable effort de détribalisation des structures militaires est nécessaire pour garantir que les décisions soient prises dans l’intérêt national et non dans celui d’un clan. Cela nécessite une réforme profonde, qui pourrait inclure la formation de nouvelles générations d’officiers en dehors du cadre clanique, afin de diversifier les parcours et de renforcer la cohésion nationale.
Cependant, la perspective d’un changement de ce modèle semble peu probable à court terme, tant qu’Ismael Omar Guelleh maintiendra son pouvoir et son emprise sur les institutions militaires.
Conclusion : L’ombre d’une milice clanique
Le 13 janvier 2025, des déclarations inquiétantes du Colonel Mohamed Djama Doualeh, membre du clan présidentiel, ont alimenté la crainte d’une dérive encore plus marquée : « Il y a une menace réelle et inhérente pour notre clan alors que IOG est encore au pouvoir. Que pensez-vous de notre avenir si Ismael Omar Guelleh, notre cousin, quitte le pouvoir ? ». Ces propos illustrent parfaitement l’état d’esprit qui prévaut dans l’armée : un profond sentiment de dépendance vis-à-vis du président et de son clan, ce qui nuit gravement à l’intégrité et à la fonction républicaine de l’armée.
Si la situation ne change pas, Djibouti pourrait se retrouver avec une armée entièrement dévouée à la protection d’intérêts privés, transformant l’armée nationale en une véritable milice clanique, avec des conséquences potentiellement dramatiques pour la stabilité du pays à long terme.
Hassan Cher
English translation of the article in French.
Djibouti: Have the chiefs of Guelleh’s clan been ordered by the president not to obey the orders of senior officers from other clans or ethnic groups in the national army?
The rise of tribalism in the national army – A militia in the service of the Guelleh clan.
The phenomenon of tribalism in the armed forces is far from new, particularly in regions such as the Middle East and Africa. However, in Djibouti, under the leadership of Ismael Omar Guelleh (IOG), tribalism seems to have taken a worrying turn: the national army, which was supposed to defend the country’s sovereignty and integrity, now seems to have been transformed into a tool for consolidating the power of a clan and providing personal protection for the president.
The Djiboutian army: a militia in the service of the Guelleh clan
The influence of tribalism on Djibouti’s military structure has intensified over the years, particularly since the consolidation of Ismael Omar Guelleh’s power. According to recent testimonies and internal sources, the army is no longer perceived as an institution serving the State, but rather as a private militia defending the interests of its clan, notably the Mamasan/Issa, to which the President belongs. A system of clientelism has been put in place, with only members of his ethnic group occupying strategic positions in the country’s various armed forces.
According to Radio Boukao of January 15, 2025: “On January 5, 2025, at the fortnightly meeting of the national army staff, replacing Lieutenant General Zakaria Cheick Ibrahim, Chief of the General Staff of the Armed Forces, Colonel Major Mohamed Kayad Guelleh, Deputy Chief of the Defense Staff and acting Chief of the General Staff of the Armed Forces, summoned all the corps chiefs. Colonel Wais Omar Bohoreh, Commander of the Djiboutian Coast Guard, has appointed a cousin, Commander of the Djiboutian Coast Guard, to attend the meeting. As for the Commander of the Republican Guard, Colonel Mohamed Djama Doualeh, he put forward a false pretext for not taking part in the meeting, and the Commander of the National Navy, Colonel Ahmed Daher Djama, refused to pick up the phone, thus avoiding taking part. The Coast Guard Commander even declared that he did not intend to accept the order of senior officers from the Afar ethnic group and the Yonis-Moussa/Issa clan.” This suggests a form of ethnic or clan loyalty that takes precedence over military discipline and obedience to institutional orders.
Lieutenant General Zakaria Cheick Ibrahim, Colonel Wais Omar Bohoreh, Colonel Mohamed Djama Doualeh, Colonel Ahmed Daher Djama and Colonel Abdourahman Ali Kahin, Director General of the Police, are all members of the clan of the President of the Republic of Djibouti, the Mamasan/Issa clan. In order to perpetuate his clan-mafia power, Ismael Omar Guelleh has placed at the head of all the country’s corps officers chosen and promoted because they belong to his own clan. What’s more, the majority of these officers are largely illiterate. He also appointed subordinates from the same Mamasan/Issa clan to prevent any other officer from another clan or ethnic group from taking up senior positions in the national army.
Influence of tribalism on military structures
Tribalism in the Djiboutian army manifests itself in a number of ways. Firstly, the composition of units and command posts is largely influenced by family and ethnic ties. For example, the heads of the main army corps, such as the Republican Guard, the National Navy and the Djiboutian Coast Guard, are almost all from the same clan as the President. Loyalty to this clan thus takes precedence over traditional military discipline, creating a fragmented army where decisions are taken on the basis of tribal interests rather than operational efficiency.
Concrete examples from around the world
The phenomenon is not isolated to Djibouti. Other countries in the region, such as Yemen and Syria, have shown how tribalism can affect the cohesion of armed forces and political stability. In Yemen, for example, the army is largely tribalized, with specific units formed to protect the interests of different clans. Similarly, in Syria, the “Tribal Combatant Forces” play a crucial role in maintaining the Assad regime’s power. In these contexts, tribalism has led to fragmentation of military forces, increased instability and internal conflict.
The consequences of military tribalism
The impact of tribalism on Djibouti’s national army is worrying. The army’s unity and effectiveness are compromised by internal ethnic rivalries. This phenomenon contributes to systemic corruption, where promotions are based on family ties rather than merit. In addition, loyalty to the state is often overshadowed by tribal loyalties, creating a climate of mistrust between different factions of the army.
The army, supposed to be a factor of stability, thus becomes a source of fragmentation. This situation could result in open tensions between rival clans, particularly if Ismael Omar Guelleh’s power were to falter.
Challenges and prospects for Djibouti’s national army
The challenges facing the Djiboutian army are manifold. The main challenge lies in the professionalization of the armed forces and the restoration of institutional order. A genuine effort to de-tribalize military structures is needed to ensure that decisions are taken in the national interest and not that of a clan. This requires far-reaching reform, which could include training new generations of officers outside the clan framework, in order to diversify backgrounds and strengthen national cohesion.
However, the prospect of a change in this model seems unlikely in the short term, as long as Ismael Omar Guelleh maintains his power and his grip on military institutions.
Conclusion: the shadow of a clan militia
On January 13, 2025, worrying statements by Colonel Mohamed Djama Doualeh, a member of the presidential clan, fuelled fears of an even greater drift: “There is a real and inherent threat to our clan while IOG is still in power. What do you think of our future if Ismael Omar Guelleh, our cousin, leaves power?”. These words perfectly illustrate the prevailing state of mind in the army: a deep sense of dependence on the President and his clan, which seriously undermines the integrity and republican function of the army.
If the situation does not change, Djibouti could find itself with an army entirely devoted to protecting private interests, transforming the national army into a veritable clan militia, with potentially dramatic consequences for the country’s long-term stability.
Hassan Cher
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