Nous avons consacré, dans notre dernière édition du 8 mars 2024, un article à une attaque armée du camp militaire de Daoudaouya, au sud-ouest de la République de Djibouti, dont la rumeur courait depuis vendredi 23 février 2024. Selon cette rumeur, l’assaut, attribué au FRUD, aurait eu lieu dans la nuit de jeudi 22 à vendredi 23 février, faisant morts et blessés parmi les soldats. Un certain nombre d’autres soldats auraient été enlevés et des armes prises. Les assaillants se seraient ensuite repliés vers la frontière éthiopienne avant le lever du jour. Nous concluions notre papier en ces termes : ‘’Malgré tous ces éléments, les autorités djiboutiennes se murent dans un silence assourdissant. Ni le ministère de la défense ni celui de l’intérieur ne se sont exprimés sur ce sujet. Pourquoi ? La question est insistante dans l’opinion publique’’.
Nous constatons que, en ce même vendredi 8 mars 2024, une partie de la rumeur a été confirmée par le pouvoir en place. C’est le chef du régime, Ismail Omar Guelleh (IOG), qui a apporté la confirmation. Il l’a fait dans un entretien avec Jeune Afrique, un journal parisien qu’il aime et qui le lui rend bien. L’entretien a été publié en ligne (https://www.jeuneafrique.com/1544476/politique/ismail-omar-guelleh-un-genocide-est-en-cours-a-gaza-je-nai-aucun-doute-la-dessus/).
Ismail Omar Guelleh a répondu comme suit à deux questions de son ami journaliste François Soudan, venu en ‘’envoyé spécial’’ à Djibouti pour l’interview.
‘’François Soudan de Jeune Afrique : On assiste depuis le début de l’année à une reprise des escarmouches entre les forces de défense djiboutiennes et les opposants du Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (Frud). La dernière en date a eu lieu le 23 février dans la région de Dikhil et a fait plusieurs morts. Cela vous inquiète-t-il ?
Ismail Omar Guelleh : Non. Il s’agit d’un petit groupe résiduel à base ethnique, à qui son parrain érythréen a ordonné de s’infiltrer dans le sud de Djibouti afin de donner l’impression d’un mouvement national. Mais cela ne trompe personne. Leur but est de créer des incidents isolés, puis de les amplifier via leur radio émettant depuis la Belgique. Ce n’est pas une menace, juste une légère pollution.
François Soudan : Le groupe qui a mené l’attaque dans le Daoudaouya venait d’Éthiopie. Avec la complicité d’Addis-Abeba ?
Ismail Omar Guelleh : Non en ce qui concerne le gouvernement central. Par contre, il n’est pas exclu que le gouvernement local de la région Afar soit impliqué.’’
On le voit, en ne démentant pas le journaliste qui fait notamment état du ‘’FRUD’’ et de ‘’plusieurs morts’’, Ismail Omar Guelleh confirme l’attaque de Daoudaouya, son bilan et son auteur. Il minimise en même temps le poids du FRUD et laisse entendre que le gouvernement de la région fédérée afar d’Éthiopie est possiblement impliqué, gouvernement dont il aurait pourtant de bonnes relations avec le chef Awal Arba.
Cependant, les termes de cette confirmation posent d’autres questions. L’une d’elles porte sur ce que dit Guelleh des autorités fédérales éthiopiennes. A-t-il parlé avec Addis-Abeba de l’attaque et quelle a été sa réaction ? Plus clairement, le pouvoir central éthiopien a-t-il nié toute implication dans l’opération et que compte-il faire des soupçons de Guelleh à l’égard d’Awal Arba ? Une autre question que soulèvent les éléments de réponse de Guelleh est la contradiction entre le bilan lourd de l’attaque du FRUD à Daoudaouya, soit ‘’plusieurs morts’’, sans compter les blessés et autres prises matérielles, et la forte minoration du groupe armé par l’autocrate. Comment affirmer qu’un groupe capable d’infliger de telles pertes contre un camp militaire, et pas seulement cette fois puisque le bilan de son assaut du 6 au 7 octobre 2022 contre un autre camp militaire, à Garabtisan, n’était pas moins lourd avec ses sept soldats morts et six autres enlevés, ‘’n’est pas une menace’’ ? C’est simplement trop gros pour passer. Alors, quoi ? Quel non-dit ? Que cache-t-on à l’opinion nationale et internationale ? Une clarification s’impose après ces propos du sieur Guelleh…
En attendant, nous rappelons que certaines sources ont fait état d’arrestations parmi la population rurale de la zone de Daoudaouya. Ces arrestations auraient visé des pasteurs nomades et auraient été menées par les groupements de l’armée djiboutienne stationnés dans la région de Dikhil, au sud-ouest du pays, et dans la région de Tadjourah, au nord. Les noms de 23 personnes dont des femmes ont circulé sur les réseaux sociaux. Ces personnes seraient-elles toujours détenues par des militaires dans leurs camps ? Si oui, c’est totalement illégal, car ce n’est pas la mission de l’armée de mener des enquêtes de police judiciaire et d’arrêter des civils. Cette mission est dévolue à la police et à la gendarmerie dans leur rôle d’auxiliaires de la justice subordonnés au parquet de la République. A suivre de près.