Création de l’IGAD et ses objectifs initiaux
L’IGAD a été fondée en 1986 sous l’impulsion des pays de la Corne de l’Afrique, notamment Djibouti, l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie, le Soudan, et l’Ouganda. Son objectif initial était de lutter contre la sécheresse et les famines, des problématiques récurrentes dans cette région de l’Afrique. Cependant, avec l’évolution des conflits et des dynamiques géopolitiques dans la région, l’organisation a réorienté son mandat pour inclure la médiation des conflits, la coopération en matière de sécurité et la promotion du développement régional.
En 1996, l’IGAD a changé de cap, devenant une organisation axée sur les questions de sécurité régionale et la résolution des conflits. Ce changement était en réponse à une demande croissante d’un cadre structuré pour la coopération politique et sécuritaire, particulièrement en raison des guerres civiles en Somalie et au Soudan, ainsi que des tensions entre l’Éthiopie et l’Érythrée.
Retraits et perte de confiance
Malgré son rôle fondamental, l’IGAD a rapidement fait face à des dissensions internes. L’une des premières défections majeures fut celle de l’Érythrée en 2007, qui a suspendu son adhésion en raison de ce qu’elle percevait comme une manipulation de l’organisation par des forces extérieures, principalement l’Éthiopie et les États-Unis. L’Érythrée reprochait à l’IGAD de soutenir l’intervention éthiopienne en Somalie, ce qui a exacerbé le conflit entre les deux pays, autrefois en guerre entre 1998 et 2000. Depuis ce retrait, l’Érythrée est restée largement en marge des processus régionaux de médiation.
Plus récemment, en janvier 2024, le Soudan a annoncé son retrait temporaire de l’IGAD, critiquant l’organisation pour sa gestion de la crise soudanaise. Le général Abdel Fattah al-Burhan a reproché à l’IGAD de prendre parti pour les Forces de soutien rapide (RSF), un groupe paramilitaire en conflit avec l’armée soudanaise, dirigée par al-Burhan. Il a également critiqué la gestion de l’organisation par le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh, actuel chef de l’IGAD.
L’Éthiopie, un autre membre clé, a également montré des signes de désengagement, notamment en se retirant de plusieurs sommets extraordinaires de l’IGAD, invoquant des tensions diplomatiques avec ses voisins, notamment la Somalie, au sujet d’un accord controversé avec le Somaliland.
Une absence remarquée dans les crises régionales
Au fil des ans, l’IGAD s’est montrée incapable de répondre efficacement aux crises majeures dans la région. La guerre civile en Éthiopie, le conflit entre le gouvernement central et les forces du Tigré, qui a entraîné des milliers de morts et des millions de déplacés, a vu une implication limitée de l’IGAD. De même, la crise au Soudan depuis 2023, opposant l’armée et les RSF, a mis en lumière l’incapacité de l’organisation à jouer un rôle médiateur décisif. Alors que la situation humanitaire au Soudan se détériore avec plus de 3 millions de déplacés, l’IGAD a été largement absente, laissant la place à d’autres acteurs internationaux tels que l’Union africaine et les Nations unies pour prendre le relais.
En Somalie, l’IGAD a également échoué à stabiliser la situation, notamment en ce qui concerne les tensions frontalières entre le Kenya et la Somalie, exacerbées par des querelles sur le contrôle des régions contestées et des accusations de soutien clandestin des milices locales par Nairobi. Les tentatives de l’IGAD pour mener une enquête indépendante ont été accueillies avec scepticisme et rejetées par la Somalie, qui a accusé l’organisation de partialité.
L’influence de Guelleh sur l’IGAD et sa réorganisation
Djibouti, sous la direction d’Ismaïl Omar Guelleh, a utilisé son rôle à la tête de l’IGAD pour renforcer son influence dans la région et compenser l’absence de leadership fort. Face aux faiblesses structurelles de l’organisation, Guelleh a tenté de maintenir sa pertinence en courtisant activement des pays comme le Soudan, essayant de ramener les membres mécontents dans le giron de l’IGAD. Il a cherché à se positionner comme un médiateur impartial dans les crises régionales, bien que son impartialité soit souvent remise en question.
Guelleh a également manipulé l’IGAD pour servir les intérêts de son régime. Il contrôle les nominations aux postes clés, orientant les décisions en faveur de Djibouti, manipule les processus de médiation et marginalise les États qui ne partagent pas ses priorités. De plus, il s’aligne avec des puissances étrangères, ce qui renforce son influence régionale, mais suscite des critiques concernant l’indépendance de l’IGAD.
Comment sauver l’IGAD ?
Pour que l’IGAD puisse retrouver sa crédibilité et son efficacité, plusieurs réformes et stratégies sont nécessaires afin de garantir une gouvernance plus équitable, transparente et impartiale : renforcer l’indépendance et la neutralité, réformer la gouvernance, renforcer la transparence, réduire l’influence des États membres dominants, renforcer les capacités opérationnelles de l’IGAD et collaborer avec des acteurs externes mais de manière équilibrée.
Conclusion : Un avenir incertain pour l’IGAD
L’IGAD traverse une crise de confiance marquée par le retrait de membres clés et une incapacité à répondre aux crises régionales majeures. L’influence grandissante de Djibouti sous la direction d’Ismaïl Omar Guelleh, qui contrôle les décisions et les nominations au sein de l’organisation, a conduit à des accusations de partialité, notamment dans la gestion des conflits soudanais et somaliens.
Pour restaurer sa crédibilité, l’IGAD doit entreprendre des réformes profondes. Cela inclut le renforcement de son indépendance, la réduction de l’influence des États dominants comme Djibouti, et l’amélioration de sa transparence. L’organisation doit également renforcer ses capacités opérationnelles et collaborer de manière équilibrée avec des acteurs externes pour redevenir un acteur pertinent dans la région.
Hassan Cher
The English translation of the article in French.
East Africa: The loss of confidence in IGAD and the Guelleh regime’s new parry
Creation of IGAD and its initial objectives
IGAD was founded in 1986 at the instigation of the countries of the Horn of Africa, notably Djibouti, Ethiopia, Kenya, Somalia, Sudan and Uganda. Its initial aim was to combat drought and famine, recurring problems in this region of Africa. However, as conflicts and geopolitical dynamics in the region evolved, the organisation refocused its mandate to include conflict mediation, security cooperation and the promotion of regional development.
In 1996, IGAD changed course, becoming an organisation focused on regional security issues and conflict resolution. This change was in response to a growing demand for a structured framework for political and security cooperation, particularly in view of the civil wars in Somalia and Sudan, as well as tensions between Ethiopia and Eritrea.
Withdrawals and loss of confidence
Despite its fundamental role, IGAD soon faced internal dissension. One of the first major defections was that of Eritrea in 2007, which suspended its membership because of what it perceived as manipulation of the organisation by outside forces, principally Ethiopia and the United States. Eritrea accused IGAD of supporting Ethiopia’s intervention in Somalia, which exacerbated the conflict between the two countries, which were at war between 1998 and 2000. Since this withdrawal, Eritrea has remained largely on the sidelines of regional mediation processes.
More recently, in January 2024, Sudan announced its temporary withdrawal from IGAD, criticising the organisation for its management of the Sudanese crisis. General Abdel Fattah al-Burhan criticised IGAD for siding with the Rapid Support Forces (RSF), a paramilitary group in conflict with the Sudanese army, led by al-Burhan. He also criticised the management of the organisation by Djibouti’s President Ismaïl Omar Guelleh, the current head of IGAD.
Ethiopia, another key member, has also shown signs of disengagement, notably by withdrawing from several extraordinary IGAD summits, citing diplomatic tensions with its neighbours, notably Somalia, over a controversial agreement with Somaliland.
A conspicuous absence from regional crises
Over the years, IGAD has proved incapable of responding effectively to major crises in the region. The civil war in Ethiopia, the conflict between the central government and the forces of Tigray, which resulted in thousands of deaths and millions of displaced persons, saw limited involvement by IGAD. Similarly, the crisis in Sudan since 2023, pitting the army against the RSF, has highlighted the organisation’s inability to play a decisive mediating role. At a time when the humanitarian situation in Sudan is deteriorating, with over 3 million people displaced, IGAD has been largely absent, leaving room for other international players such as the African Union and the United Nations to take over.
In Somalia, IGAD has also failed to stabilise the situation, particularly as regards border tensions between Kenya and Somalia, exacerbated by disputes over control of disputed regions and accusations of clandestine support for local militias by Nairobi. Attempts by IGAD to conduct an independent investigation have been met with scepticism and rejection by Somalia, which has accused the organisation of bias.
Guelleh’s influence on IGAD and its reorganisation
Djibouti, under the leadership of Ismaïl Omar Guelleh, has used its role at the head of IGAD to strengthen its influence in the region and compensate for the absence of strong leadership. Faced with the organisation’s structural weaknesses, Guelleh has tried to maintain its relevance by actively courting countries such as Sudan, trying to bring disgruntled members back into the IGAD fold. He has sought to position himself as an impartial mediator in regional crises, although his impartiality is often questioned.
Guelleh has also manipulated IGAD to serve the interests of his regime. He controls appointments to key positions, steering decisions in Djibouti’s favour, manipulating mediation processes and marginalising states that do not share his priorities. What’s more, he aligns himself with foreign powers, which strengthens his regional influence, but raises criticism about IGAD’s independence.
How can IGAD be saved?
If IGAD is to regain its credibility and effectiveness, a number of reforms and strategies are needed to ensure more equitable, transparent and impartial governance: strengthening independence and neutrality, reforming governance, enhancing transparency, reducing the influence of dominant member states, strengthening IGAD’s operational capacities and collaborating with external players in a balanced way.
Conclusion: An uncertain future for IGAD
IGAD is going through a crisis of confidence marked by the withdrawal of key members and an inability to respond to major regional crises. The growing influence of Djibouti under Ismaïl Omar Guelleh, which controls decisions and appointments within the organisation, has led to accusations of bias, particularly in the management of the Sudanese and Somali conflicts.
To restore its credibility, IGAD must undertake far-reaching reforms. This includes strengthening its independence, reducing the influence of dominant states such as Djibouti, and improving its transparency. The organisation also needs to strengthen its operational capacities and collaborate in a balanced way with external players to once again become a relevant player in the region.
Hassan Cher
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