Les 9 et 10 octobre 2024, Asmara a accueilli une réunion tripartite historique réunissant les présidents de la Somalie (Hassan Sheikh Mohamoud), de l’Égypte (Abdel Fattah al-Sissi) et de l’Érythrée (Isaias Afwerki). Ce sommet, bien que présenté comme une rencontre visant à renforcer la coopération entre ces pays, révèle en réalité des enjeux politiques et géostratégiques d’une portée bien plus large, notamment des pressions croissantes sur l’Éthiopie. En parallèle, cette réunion marque un tournant dans les relations entre Djibouti et ses voisins, tout en accentuant l’isolement de l’IGAD (Autorité intergouvernementale pour le développement).
- Pression sur l’Éthiopie et incertitude stratégique
Le sommet d’Asmara intervient dans un contexte de tensions régionales croissantes. En effet, la participation de l’Égypte à la Mission de soutien et de stabilisation de l’Union africaine en Somalie (AUSSOM) suscite une grande inquiétude du côté éthiopien. Addis-Abeba, qui entretient des relations conflictuelles avec Le Caire, considère l’arrivée des forces égyptiennes dans la région comme une menace directe pour sa sécurité. L’Éthiopie, enclavée depuis la séparation de l’Érythrée, aspire depuis longtemps à un accès à la mer Rouge, ce qui alimente son contentieux avec la Somalie et exacerbe ses tensions avec l’Égypte sur la gestion des eaux du Nil, en particulier avec le projet du Grand Barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD).
L’alliance formée entre l’Égypte, la Somalie et l’Érythrée lors de cette réunion renforce encore ces tensions. Ces pays, tous liés par des différends avec l’Éthiopie, semblent désormais s’unir pour contenir les ambitions régionales d’Addis-Abeba. Pour l’Égypte, cette alliance constitue également une opportunité de projeter sa puissance militaire et politique dans la Corne de l’Afrique, zone stratégique pour le contrôle des voies maritimes mondiales via le canal de Suez.
- L’isolement de Djibouti et de l’IGAD
Alors que la Somalie, l’Égypte et l’Érythrée se rapprochent stratégiquement, Djibouti se retrouve de plus en plus isolé. Historiquement, Djibouti a maintenu une position centrale au sein de l’IGAD, jouant un rôle de médiateur et de facilitateur dans les affaires régionales. Cependant, cette réunion tripartite, à laquelle Djibouti n’a pas été convié, marque un éloignement significatif de ses alliés traditionnels et un affaiblissement de l’IGAD en tant qu’institution régionale influente.
L’absence de Djibouti à cette réunion reflète également les tensions croissantes entre le président djiboutien Ismaël Omar Guelleh et son homologue somalien Hassan Sheikh Mohamoud. En effet, les relations entre les deux hommes se sont détériorées ces derniers mois, en grande partie à cause des tentatives de Guelleh de s’immiscer dans les affaires intérieures somaliennes, notamment par le biais de ses liens avec des acteurs économiques et politiques influents en Somalie. Or, avec l’émergence de cette nouvelle alliance tripartite, l’influence de Guelleh en Somalie est en déclin.
- La détérioration des relations entre Ismaël Omar Guelleh et Hassan Sheikh Mohamoud
Les relations entre Djibouti et la Somalie, autrefois marquées par une étroite collaboration, ont connu un tournant après que Hassan Sheikh Mohamoud a rejeté les ingérences de Guelleh dans les affaires somaliennes au cours du Forum sur la coopération sino-africaine à Pékin du 4-6 septembre 2024. Cette rupture diplomatique a été exacerbée par l’alignement stratégique de la Somalie avec l’Égypte et l’Érythrée, au détriment de Djibouti. Guelleh, habitué à jouer un rôle de parrain dans la politique régionale, a vu son influence considérablement réduite. Cela s’est particulièrement illustré lors de la réunion d’Asmara, où Djibouti a été complètement exclu des discussions majeures touchant à la stabilité régionale et aux relations bilatérales dans la Corne de l’Afrique.
- Réduction de l’influence de Djibouti en Somalie
Traditionnellement, Djibouti a joué un rôle clé dans les affaires somaliennes, notamment en fournissant un soutien diplomatique et logistique. Toutefois, la décision de la Somalie de se rapprocher de l’Égypte et de l’Érythrée, et de collaborer directement avec ces puissances régionales, a considérablement affaibli la position de Djibouti. L’accord militaire entre la Somalie et l’Égypte, ainsi que la participation égyptienne à la mission AUSSOM, démontre clairement que Mogadiscio cherche désormais à diversifier ses partenaires régionaux, réduisant ainsi la dépendance historique envers Djibouti.
Cette évolution stratégique affaiblit également la mainmise de Guelleh sur les affaires intérieures somaliennes. Djibouti, autrefois un acteur incontournable dans la médiation des conflits somaliens, voit son rôle marginalisé à mesure que la Somalie forge de nouvelles alliances avec d’autres puissances, notamment l’Égypte et l’Érythrée.
Conclusion
La réunion tripartite d’Asmara constitue un tournant majeur dans la géopolitique de la Corne de l’Afrique. En formant un front commun contre l’Éthiopie, la Somalie, l’Égypte et l’Érythrée redessinent les alliances régionales, isolant Djibouti et affaiblissant l’IGAD. Pour Ismaël Omar Guelleh, ces développements marquent une perte significative d’influence, non seulement en Somalie, mais également sur la scène régionale. Avec la montée en puissance de nouvelles alliances et la dégradation de ses relations avec Hassan Sheikh Mohamoud, Djibouti risque de se retrouver de plus en plus isolé dans les mois et années à venir.
Hassan Cher
The English translation of the article in French.
Horn of Africa: the Asmara tripartite meeting, political pressures and geostrategic implications in the Horn of Africa
On 9 and 10 October 2024, Asmara hosted a historic tripartite meeting between the presidents of Somalia (Hassan Sheikh Mohamoud), Egypt (Abdel Fattah al-Sissi) and Eritrea (Isaias Afwerki). Although the summit was presented as a meeting to strengthen cooperation between these countries, in reality it revealed much wider political and geostrategic issues, including growing pressure on Ethiopia. At the same time, this meeting marks a turning point in relations between Djibouti and its neighbours, while accentuating the isolation of IGAD (Intergovernmental Authority on Development).
- Pressure on Ethiopia and strategic uncertainty
The Asmara summit took place against a backdrop of growing regional tensions. Egypt’s participation in the African Union Support and Stabilisation Mission in Somalia (AUSSOM) is causing great concern on the Ethiopian side. Addis Ababa, which has a contentious relationship with Cairo, sees the arrival of Egyptian forces in the region as a direct threat to its security. Ethiopia, landlocked since its separation from Eritrea, has long aspired to access to the Red Sea, which has fuelled its dispute with Somalia and exacerbated its tensions with Egypt over the management of the Nile’s waters, particularly with the Grand Ethiopian Renaissance Dam (GERD) project.
The alliance formed between Egypt, Somalia and Eritrea at this meeting further reinforces these tensions. These countries, all linked by disputes with Ethiopia, now appear to be uniting to contain Addis Ababa’s regional ambitions. For Egypt, this alliance is also an opportunity to project its military and political power into the Horn of Africa, a strategic area for the control of the world’s shipping lanes via the Suez Canal.
- The isolation of Djibouti and IGAD
As Somalia, Egypt and Eritrea move closer together strategically, Djibouti finds itself increasingly isolated. Historically, Djibouti has maintained a central position within IGAD, acting as a mediator and facilitator in regional affairs. However, this tripartite meeting, to which Djibouti was not invited, marks a significant move away from its traditional allies and a weakening of IGAD as an influential regional institution.
Djibouti’s absence from the meeting also reflects the growing tensions between Djibouti’s President Ismaël Omar Guelleh and his Somali counterpart Hassan Sheikh Mohamoud. Indeed, relations between the two men have deteriorated in recent months, largely as a result of Guelleh’s attempts to interfere in Somalia’s internal affairs, notably through his links with influential economic and political players in Somalia. With the emergence of this new tripartite alliance, Guelleh’s influence in Somalia is in decline.
- The deterioration in relations between Ismaël Omar Guelleh and Hassan Sheikh Mohamoud
Relations between Djibouti and Somalia, once marked by close collaboration, took a turn for the worse after Hassan Sheikh Mohamoud rejected Guelleh’s interference in Somali affairs during the Forum on China-Africa Cooperation in Beijing on 4-6 September 2024. This diplomatic rupture was exacerbated by Somalia’s strategic alignment with Egypt and Eritrea, to the detriment of Djibouti. Guelleh, used to playing the role of godfather in regional politics, has seen his influence considerably reduced. This was particularly evident at the Asmara meeting, where Djibouti was completely excluded from major discussions on regional stability and bilateral relations in the Horn of Africa.
- Reducing Djibouti’s influence in Somalia
Traditionally, Djibouti has played a key role in Somali affairs, notably by providing diplomatic and logistical support. However, Somalia’s decision to move closer to Egypt and Eritrea, and to work directly with these regional powers, has considerably weakened Djibouti’s position. The military agreement between Somalia and Egypt, as well as Egypt’s participation in the AUSSOM mission, clearly demonstrate that Mogadishu is now seeking to diversify its regional partners, thereby reducing its historical dependence on Djibouti.
This strategic shift also weakens Guelleh’s grip on Somalia’s internal affairs. Djibouti, once a key player in mediating Somali conflicts, is seeing its role marginalised as Somalia forges new alliances with other powers, notably Egypt and Eritrea.
Conclusion
The tripartite meeting in Asmara was a major turning point in the geopolitics of the Horn of Africa. By forming a common front against Ethiopia, Somalia, Egypt and Eritrea are redrawing regional alliances, isolating Djibouti and weakening IGAD. For Ismaël Omar Guelleh, these developments mark a significant loss of influence, not only in Somalia, but also on the regional scene. With the rise of new alliances and the deterioration of its relations with Hassan Sheikh Mohamoud, Djibouti risks finding itself increasingly isolated in the months and years to come.
Hassan Cher
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