Nul besoin de cours d’histoire comparée pour savoir à quel point l’idéologie de l’extrême droite du RN menace les libertés d’expression, et en particulier celle des journalistes. Quel sera l’état du paysage médiatique français si le Rassemblement National (RN) arrive en tête aux prochaines élections législatives ? Dans le détail, nul ne le sait. Mais dans les grandes lignes, le RN a d’ores et déjà annoncé sa volonté de privatiser le service public de l’audiovisuel… Mais Cette probable régression de l’espace médiatique français – et, au-delà, de l’expression libre de tous les citoyen(n)es -, ne concernera pas uniquement la France. Elle ne manquera pas aussi, par simple effet de contagion, de frapper nos confrères et consœurs journalistes dans le monde, et en particulier celles et ceux qui portent haut l’étendard de l’éthique et de l’indépendance des médias en Afrique.
Les positions de la France en matière de coopération, d’aide publique au développement (APD), d’immigration et de politique étrangère vont fatalement s’aligner, au moins en partie, sur l’idéologie de cette extrême droite si elle devait être intronisée à Paris. Procès d’intention ? Des positionnements clairs et des objectifs fermes ont d’ores et déjà été publiquement formulés par la plupart des cadres du RN, aujourd’hui comme hier. De là à voir des segments entiers de l’État français soutenir plus que jamais des régimes et dirigeants autoritaires en Afrique – voire encourager, çà et là, certains autres prétendants au pouvoir dans leurs pays – il n’y a qu’un pas. Un pas que Vladimir Poutine a, lui, franchi depuis longtemps. Financeur avéré du RN, le président russe n’a-t-il pas manœuvré en ce sens, sur le continent, depuis plus de dix ans ? Sans parler du groupe Wagner, diligenté par le chef du Kremlin dans des zones africaines jugées fragiles.
Dans un contexte africain où l’image de la France s’est fortement dégradée depuis plus d’une décennie, l’arrivée du RN au pouvoir sera sans nul doute perçue par certains, en Afrique, comme un feu vert à toutes les formes d’autoritarisme et un encouragement pour tous ces sombres « patriotes » africains qui ont pour modèle – et certains pour alliés -, Poutine, Xi Jinping ou Erdogan. Avec les conséquences directes que l’on connaît déjà, en République centrafricaine (RCA) au Mali, au Burkina Faso et au Niger : bâillonnement des journalistes, interdictions ou fermetures de médias, incarcération arbitraires, disparitions inexpliquées, entorses multiples aux libertés et aux droit humains… Autant dire une mise au pas systématique des libertés d’expression, non seulement celle des médias, mais celles de l’ensemble des sociétés civiles africaines déjà largement cadenassées.
Sans oublier que le RN au pouvoir ne manquera pas d’imposer des nominations, en Afrique, civils ou militaires français – en particulier au sein des de certaines ambassades et de leurs chancelleries, mais aussi dans les délégations locales de l’union européenne (UE) ou encore à la tête des divers corps militaires basés sur le continent. De la même façon, il est plus que probable que le même RN ne manquera pas de renforcer – ou de dévoyer – divers dispositifs de contrôle aux frontières initiés par l’Europe et la France, comme le dispositif Frontex (Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes), autour de la Méditerranée , ou ces nombreux programmes bilatéraux (avec la France) activant des fonds publics généreux alloués à certains États africains (Tunisie, Mauritanie, Maroc, etc.) pour lutter contre les flux migratoires vers l’Europe avec des camps de rétention et d’accueil des refoulés d’Europe.
Pour toutes ces raisons, et d’autres encore, les citoyens et les journalistes doivent, de part et d’autre de la Méditerranée, au Nord comme au Sud du Sahara, coopérer et dénoncer ces nouveaux risques qui menacent leur liberté de critique et de ton, mais aussi leur éthique et leur indépendance. La plateforme afro-européenne Médias & Démocratie (M&D) et 23 de ses partenaires, en Afrique comme dans l’Hexagone, appellent au sursaut citoyen et républicain lors de ces élections législatives françaises. Barrer la route à l’extrême droite n’est que la première charge d’un combat qui s’annonce aussi vital qu’implacable pour tous les journalistes. Relever dès maintenant ce défi est, pour l’heure, la seule façon de défendre la liberté de la presse et l’expression libre de tous les citoyens(ne)s, en France comme en Afrique.
Olivier Piot et Stéphane Lepoittevin, respectivement directeur exécutif et président de Médias & Démocratie (M&D), plateforme afro-européenne de journalistes d’Afrique et d’Europe. Moussa Aksar, fondateur et directeur de publication de l’hebdomadaire L’Évènement (Niger). Désiré Éname, directeur de publication de l’hebdomadaire L’Écho du Nord (Gabon) et président de l’UPF (Union de la presse francophone) Gabon – . Modou S.Joof, secrétaire général de l’Union de la presse gambienne (GPU).
Signataires :
Virginie Andriamirado, présidente de l’IDAF- Institut des Afriques (France)
Michael Pauron et Rémi Carayol, coordinateurs du comité éditorial d’Afrique XXI (France)
Moussa Ould Samba Sy, directeur du Quotidien de Nouakchott (Mauritanie)
Amadou Sy, rédacteur en chef du site LeReflet (Mauritanie)Traoré Awa Seydou, directrice de Reines d’Afrique – Mondoblog (Mauritanie)
Momer Dieng, responsable des publications de Impact.sn (Sénégal)
Mohamoud Djama, directeur de La Voix de Djibouti (Djibouti).
Codou Loum, présidente de la section sénégalaise du Réseau International des Femmes (RIF)
et rédactrice en chef de Radio Oxyjeunes FM (Sénégal)
Hanène Zbiss présidente de la section UPF (Tunisie)
The Center for peace dialogue and development / CPDD (Cameroun)
Patrick Lozès, Président du Conseil Représentatif des Associations Noires de France (CRAN)David Dembélé, cofondateur du Groupe Avenir Média (Mali), éditeur de L’investigateur et mail24.info (Mali)
Idrissa Ouseini, directeur général de l’École supérieure de journalisme et de communication (Niger)
Abdourahamane Ousmane, directeur de L’École supérieure de la Presse, de l’Audiovisuel,
de la Communication et des Tic -ESPAC-TIC (Niger).
Alain Denis, directeur de The Center for peace dialogue and development – CPDD (Cameroun)