Nous l’avons récemment écrit ici, le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed Ali, a déçu l’immense majorité de celles et ceux qui ont salué son avènement au pouvoir en avril 2018. Il a déçu les espoirs placés en lui. La suite de ses premiers gestes positifs, n’a pas été et n’est pas à l’avenant. D’homme de paix, qui s’est vu décerner le Prix Nobel de la Paix 2019, il est devenu chef de guerre à l’intérieur de son pays, notamment avec la guerre contre le TPLF (acronyme anglais du Front de libération du peuple tigréen), le conflit contre l’OLA (acronyme anglais de l’Armée de libération de l’Oromo) et le conflit contre les miliciens Fanon de l’Amhara. Sans compter les incessantes violences intercommunautaires.
Il lui est aujourd’hui attribué un agenda de pouvoir personnel adossé à une orientation ethnique, même s’il ne semble pas bénéficier d’un soutien massif de son ethnie, les Oromo. L’une des illustrations mises en avant est la construction d’un coûteux palais à Addis-Abeba, alors même que le pays est économiquement à genoux, avec une inflation sans précédent, une pauvreté qui s’aggrave jusqu’à la faim (des millions d’Ethiopiens seraient menacés de famine) et une incapacité de l’État central à honorer les échéances de la dette publique. Ce palais ferait partie d’un projet de 500 hectares appelé Chaka (Forêt) qui aurait donné lieu à de nombreuses expropriations.
Selon les observateurs, la présente tension autour de la violation de l’intégrité territoriale somalienne entre Addis-Abeba et Mogadiscio s’inscrit dans cet agenda à hauts risques. Ce dernier comporte un volet accès à la Mer Rouge qui explique la restauration de la marine de guerre éthiopienne qui, depuis l’indépendance de l’Érythrée et la perte de la façade maritime, a disparu.
Pour au moins trois raisons, un tel agenda relève du mauvais calcul. La première raison est que les Éthiopiens sont las du pouvoir solitaire. L’histoire récente du pays en témoigne : l’empereur Hailé Sélassié a été renversé en 1974, le colonel Mengistu Hailé Mariam l’a été en 1991 et le TPLF a perdu sa domination en 2028. De même, l’histoire ancienne éthiopienne est jalonnée de contestations sanglantes des détenteurs du pouvoir sans partage. Au reste, le premier ministre Abiy Ahmed Ali a dû son accueil chaleureux par le plus grand nombre à l’image de démocrate réformateur qu’il a projetée. La seconde raison est que toute idée de pouvoir solitaire sur fond d’instrumentalisation communautaire relève du déjà-vu en Éthiopie où elle rappelle de mauvais souvenirs. La troisième raison est qu’un tel agenda n’est pas de nature à rassurer les pays limitrophes auxquels il envoie le signal inquiétant d’une Éthiopie désireuse de dominer la Corne de l’Afrique. La volonté qu’affiche Abiy Ahmed Ali de prendre le contrôle d’une portion du territoire somalien pour se doter d’un port maritime et d’une base navale, est largement perçue comme le signe annonciateur d’une tentation hégémonique. D’où le rejet massif du mémorandum d’entente sur l’accès à la Mer Rouge qu’il a signé le 1er janvier 2024 avec le président de l’État auto-proclamé du Somaliland, Moussa Bihi Abdi. Sa copie est donc à revoir.