Depuis la signature et l’annonce d’un mémorandum d’entente entre le président de l’État auto-proclamé du Somaliland, Moussa Bihi Abdi, et le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed Ali, sur la cession à l’Éthiopie, pour accès à la mer, d’une portion du territoire somalien, en contrepartie d’une promesse d’Addis-Abeba de considérer la demande somalilandaise de reconnaissance internationale, la tension est vive entre la Somalie et l’Éthiopie. Soutenue par les Somaliens et autres Somalis, la République fédérale de Somalie n’a pas tardé à réagir. Elle a rappelé son ambassadeur en Éthiopie, condamné le mémorandum d’entente qu’elle a déclaré nul et non avenu, notamment par une loi qu’a votée son Parlement fédéral. Elle a également engrangé le soutien de la communauté internationale qui a appelé l’Éthiopie à respecter la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale de la Somalie, conformément à la Charte des Nations-Unies et à l’Acte constitutif de l’Union africaine. De même, Mogadiscio a affirmé sa volonté de ‘’défendre le pays par tous les moyens’’. Le peuple somalien, y compris au Somaliland, et les autres Somalis se disent clairement prêts à défendre l’intégrité du territoire somalien.
De fait, une guerre peut éclater entre les deux pays, si l’Éthiopie persiste dans ses visées territoriales et tente de s’installer sur une portion des côtes somaliennes. Avec le risque supplémentaire d’un embrasement régional et d’une montée en puissance du terrorisme islamiste. Ce ne serait d’ailleurs pas le premier le conflit, car, dans leur histoire, les deux pays se sont militairement affrontés plus d’une fois. C’est pourquoi la communauté internationale, en particulier l’Occident et le monde arabo-musulman, a envoyé un signal clair à Addis-Abeba dont il se murmure par ailleurs qu’elle n’est pas en état d’entrer en conflit armé contre la Somalie.
Face à cet accès de tension entre les deux pays limitrophes, le président autocrate djiboutien s’est retrouvé embarrassé. Visiblement, il ne s’attendait pas à un tel engagement de la part de son ami Moussa Bihi Abdi qui semble l’avoir frappé d’une désagréable surprise. Toutefois, pour une raison ou une autre, il s’est retenu de réagir vite et d’appeler rapidement l’Éthiopie à respecter l’intégrité territoriale somalienne. Il s’est plutôt réfugié dans un silence critiqué par l’opinion et les autorités somaliennes. Entre autres, le président somalien, son ami Hassan Sheikh Mahamoud, a pointé, lors d’une déclaration faite le 5 janvier 2024, le mutisme de certains gouvernements amis qui ‘’se cachent pour échapper à leur devoir de solidarité’’, faisant allusion au régime djiboutien et à celui émirati.
C’est le 8 janvier 2024 que Guelleh est timidement sorti de son silence, principalement au titre de l’IGAD dont il est le président en exercice. Il l’a fait par un communiqué de son ministère des affaires étrangères. En voici la teneur : ‘’La République de Djibouti suit avec une grande préoccupation l’évolution de la situation de tension entre la République fédérale de Somalie et la République fédérale d’Éthiopie. La République de Djibouti, en sa qualité de Président en exercice de l’IGAD, affirme son profond attachement à la préservation de la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de tous les États membres, comme principe cardinal tel qu’inscrit dans le traité de l’IGAD et l’acte constitutif de l’Union africaine. La République de Djibouti appelle les deux pays frères à privilégier la voie du dialogue et à œuvrer dans le sens de la désescalade. Enfin, la République de Djibouti poursuit inlassablement ses efforts de consultation avec tous les États membres de l’IGAD afin de parvenir à l’objectif ultime de sortie de crise.’’
On le voit, Guelleh tente d’échapper à la fois aux critiques somaliennes et au courroux d’Addis-Abeba. Est-ce par peur d’Abiy Ahmed, ou pour une autre raison ? La question n’est pas absurde.
Quant aux dirigeants des Émirats arabes unis (EAU) que certains politiciens somaliens dont le président Hassan Sheikh Mahamoud lui-même considèrent comme des amis et dont la proximité avec le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali est connue, ils observent un silence assourdissant. A ce jour, et à notre connaissance, ils ne se sont pas prononcés sur l’accès de tension entre l’Éthiopie et la Somalie. Alors qu’ils sont membre de la Ligue arabe comme la Somalie, ils n’ont pas dit leur solidarité avec Mogadiscio, ni appelé l’Éthiopie à respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Somalie.
Plusieurs observateurs attribuent ce silence des Émiratis à une implication d’Abu Dhabi dans la signature du mémorandum responsable de la tension. Selon eux, ils auraient encouragé Moussa Bihi et Abiy Ahmed à s’entendre sur un accès éthiopien à la mer à travers le territoire somalien. Ce, dans une visée stratégique d’influence en Afrique de l’Est, particulièrement dans la Corne de l’Afrique. Les analystes évoquent une volonté des Émiratis de contrôler, directement ou indirectement, les ports de la Mer Rouge pour préserver sa position d’opérateur portuaire dominant et d’accéder aux richesses des pays est-africains.
Deux autres raisons que le facteur émirati sont pointées par les observateurs à l’origine de l’entente entre Moussa Bihi et Abiy Ahmed. Une première raison est que le président somalilandais et le premier ministre éthiopien ont tous deux de sérieuses difficultés intérieures et avaient besoin d’un ‘’coup d’éclat’’ pour respirer politiquement. Une seconde raison est qu’ils ont tous deux sous-estimé la fibre patriotique somalienne, soutenue par les autres Somalis.
En tout cas, la Somalie poursuit sa contre-offensive diplomatique pour contrer les visées territoriales d’Addis-Abeba. Ainsi, le président Hassan Sheikh Mahamoud s’est rendu lundi 8 janvier en Érythrée, où il a rencontré son homologue érythréen, Issayas Afewerki. Après Asmara, il est attendu au Caire, en Égypte, où l’a invité le maréchal-président Abdel Fattah al-Sissi.